Sorti début mars et disponible sur les consoles next-gen et sur tous les ordinateurs, White Night fait figure d’ovni dans le paysage vidéoludique actuel. Brillant par sa direction artistique soignée et son ambiance angoissante, il renoue avec le genre survival-horror à l’ancienne. Profitant de la venue d’OSome Studio, les créateurs du jeu, à la Japan Touch Haru de Lyon, N-Gamz a posé quelques questions à Domenico Albani, directeur technique du jeu.
Cerberus XV3: Pouvez-vous nous présenter l’équipe qui a travaillé sur White Night ?
Domenico Albani: White Night, c’est un projet d’OSome Studio, mais nous avons également été beaucoup entourés. Dans l’équipe de base, nous sommes trois. Il y a deux programmeurs : Mathieu Fremont, qui est également directeur de production, et moi-même, Domenico Albani, directeur technique. Et enfin il y a Ronan Coiffec, directeur créatif, qui est le game-director. Lui est plutôt multi-casquettes, il fait la direction artistique, le game-design et il aide à tous les métiers artistiques. Mais évidemment, pour White Night, nous avons travaillé avec plein d’autres personnes : Sébastien Renard, scénariste, Zachary Miskin, compositeur violoncelliste, Nicolas Bredin, sound-designer et plein d’autres gens que nous avons tenu à tous citer dans les crédits. Au final, c’est une très grande équipe, sans compter tous les gens d’Activision qui ont collaboré à notre projet.
Justement, Activision a participé à votre projet, comment s’est faite la rencontre ? Et que vous ont-ils apporté ?
C’était à la GDC 2014 à San Francisco. Nous avions pris un stand pour pouvoir montrer White Night qui n’était alors qu’un prototype. A la toute dernière heure du salon, une personne d’Activision est passée sur notre stand et a eu un coup de cœur pour le jeu. Quelques temps après, Activision nous a recontacté pour nous proposer de « pousser » un peu le jeu. Ils nous ont laissé très libres dans la créativité, en revanche, ils nous ont apporté un énorme soutien qui a été très utile. Ils nous ont aidé à aller plus loin dans la finalisation du jeu avec des versions consoles, une meilleure qualité du jeu, une communication presse et marketing.
Quel a été le processus de création du jeu ?
D’abord, nous avons eu l’idée de base qui était de jouer sur le noir et blanc. Nous avons mis en place plusieurs prototypes, et puis un jour, White Night s’est imposé comme le jeu que nous avions envie de développer. Nous avons gardé l’idée dans un coin de notre tête et mis le jeu en sommeil pendant quelques temps. Il nous a fallu deux ans pour créer notre entreprise et nous repencher sur notre projet, et surtout avoir un prototype montrable et valable pour justifier ce vers quoi nous voulions aller. Nous avons d’abord travaillé seuls pendant un an avec nos fonds propres et l’aide du CNC, puis au bout d’un an, Activision nous a rejoint, et ils ont un peu pris le relais financier.
Comment vous est venue l’idée de White Night ?
Le jeu fait une référence aux premiers jeux d’aventure horror, notamment Alone in the Dark et Resident Evil. Ce sont des jeux à caméra fixe typiquement, et à la troisième personne. A la base, les trois fondateurs d’OSome Studio travaillaient chez Eden Games et il y a eu un remake d’Alone in the Dark qui a été fait avec une technologie récente. Le but, c’était de reprendre le même style de jeu mais avec un gameplay plus moderne. Ronan Coiffec travaillait sur ce projet-là. Mais le projet n’est jamais sorti et Eden Games a fermé. En créant OSome Studio, nous avons voulu reprendre cette idée-là mais la mixer avec une autre inspiration au point de vue visuel et ambiance, qui vient d’une vidéo qui s’appelle « Peur du Noir » de Richard McGuire. Le mélange de ces deux inspirations a vraiment créé White Night tel qu’il est.
Quel est le scénario de White Night ?
White Night se passe à Boston dans les années 30. C’est l’histoire d’un homme qui a un accident de voiture près d’un manoir. Comme il est grièvement blessé, pour trouver de l’aide, il va rentrer dans ce manoir et essayer de trouver un téléphone. Malheureusement, le téléphone ne fonctionne pas et le manoir le retient prisonnier. Il va devoir trouver un moyen de s’échapper du manoir, mais ce n’est pas si facile, car le manoir n’est pas tout à fait commun. Il va devoir mener un petit peu l’enquête et comprendre ce qui s’est passé dans ce manoir, la famille qui y a vécu et les différents drames qui s’y sont passés pour réussir à s’évader.
Pouvez-vous nous parler des références culturelles qui se trouvent dans White Night ?
Nous avions envie de mettre énormément de références dans White Night, mais sans vouloir en faire un fourre-tout. Il a donc fallu faire une sélection. Nous avons surtout choisi de prendre des références cinématographiques qui se réfèrent à ce genre de scénario. Par exemple, le personnage a une démarche caractéristique. Et puis il y a les éléments du décor : le manoir, les corbeaux dans le jardin, etc. Tout ça, c’était évident qu’il fallait s’inspirer d’Hitchcock. Ensuite pour justifier la narration, il était clair qu’il fallait plutôt se diriger vers l’expressionnisme allemand. Le fil rouge du jeu, c’est le scénario. Il a été écrit avant le gameplay.
En quoi White Night est-il un jeu de survival-horror ?
Le noir est omniprésent et il développe l’aspect survival-horror, mais d’un point de vue psychologique. Il crée du stress, de l’angoisse. De nos jours, l’horreur a plutôt dérivé avec des armes, des monstres, des combats, de l’action. Nous, nous avons fait le choix inverse qui est le retour aux origines, avec un jeu posé, lent, assez littéraire, qui essaye de créer une ambiance et une angoisse, plus qu’une horreur immédiate.
Pourquoi avoir fait le choix d’un retour aux origines du survival-horror ?
Ça vient avant tout d’un constat et d’un besoin. Nous avons constaté que beaucoup de jeux aujourd’hui prennent un tournant immédiat vers l’action. Ce n’est pas quelque chose que nous avions envie de faire, nous voulions repartir sur des bases plus simples dans le concept, être plus basiques dans les émotions que ça produit. Nous voulions que le joueur sente l’ambiance. Alors nous avons créé une ambiance très forte, à partir de point de vue de caméra, de la composition de l’image et de l’ambiance sonore qui est très importante dans le jeu. Nous nous sommes également beaucoup inspiré du cinéma, soit l’expressionnisme allemand, soit les films d’Hitchcock. L’ambiance est importante mais le gameplay est épuré et simple, comme c’était le cas dans les premiers jeux, et il ne fait pas de concessions. Aujourd’hui, il y a beaucoup de concessions de faites dans les développements de jeux pour donner une accessibilité très forte et générer moins de frustration au joueur. Nous, nous avons préféré faire un jeu engagé sur le visuel et sur le gameplay.
Etiez-vous sûr que votre jeu pourrait fonctionner quand vous avez choisi de le développer ?
Dans l’absolu, il n’y a pas de bonne façon de faire un bon jeu. Si elle existait, tout le monde en ferait. Faire un jeu, c’est toujours de l’essai. C’est pourquoi le prototype est aussi important. Personne n’a l’idée magique pour faire un jeu vidéo, il n’y a qu’une chose qui valide la bonne idée, c’est de l’essayer, de la jouer et de voir si elle fonctionne. Dans notre cas, seul le prototype nous a permis de nous rendre compte que notre idée pourrait marcher. Nous avons fait le prototype et l’avons essayé. En faisant un jeu contrasté noir et blanc avec des grosses zones d’ombre, le cerveau remplit cette zone d’ombre et joue le rôle d’imaginer ce qu’il y a dans cette zone d’ombre. C’est le principe de l’horreur psychologique. Le plus important c’est ce qu’on ne montre pas, ce qui est suggéré. On cache pour créer la peur.
Quels sont les retours que vous avez eu jusqu’à aujourd’hui ?
Nous sommes conscients que nos choix ont pu surprendre. Au final, nous avons des retours qui ne sont pas dans la moyenne. Soit les joueurs adorent White Night, soit ils détestent. Les points de vue caméra fixe et le gameplay à l’ancienne jouent beaucoup avec la frustration du joueur. Le fait d’être vulnérable et la réussite du jeu sont des accomplissements réels. L’affect que nous mettons dans les personnages est également très important, d’ailleurs nous voudrions être capables de travailler l’empathie du joueur pour son héros.
Pouvez-vous nous parlez de la bande-son du jeu qui est très importante ?
L’ambiance sonore, c’était vraiment quelque chose que nous avons voulu fort dès le début, parce que justement il n’y a pas beaucoup d’informations visuelles dans le jeu. Si on est dans le noir, on a besoin de savoir ce qui nous entoure, sur quoi on marche, etc. Nous avons donc voulu que l’ambiance sonore soit très travaillée. Nous nous sommes entourés de professionnels free-lance qui collent au projet bien sûr, mais surtout qui y avaient adhéré personnellement. Nous voulions vraiment qu’ils aient des affinités avec White Night. Nous avons fait appel à un compositeur de violoncelle, Zachary Miskin, et à un sound-designer, Nicolas Bredin. Au niveau de la musique, le violoncelle crée une véritable ambiance d’angoisse à lui seul. Pour le son, Nicolas Bredin était très motivé. Déontologiquement, il a voulu pousser très loin le bruitage. Par exemple, dans le jeu, on a tendance à utiliser des allumettes pour vouloir s’éclairer ; et bien il a enregistré chaque craquement d’allumettes pour qu’on capte le moindre grésillement de l’allumette quand elle brûle. C’est ce qui va faire que le joueur va sentir le jeu et la matière du jeu.
Pouvez-vous nous présenter le moteur utilisé pour le développement du jeu ?
Dans notre cas, nous avons fait le choix d’avoir notre propre technologie. Il s’agit de l’OEngine, un moteur spécifiquement développé et optimisé, sur nos heures perdues, pour les besoins de White Night. A force de faire des prototypes, nous avons pu créer notre propre technologie qui nous permet de faire fonctionner notre jeu sur consoles, PC, Mac et Linux. Ce moteur a également été utilisé par Passtech Games pour son jeu de vaisseau spatial (« Space Run », ndlr). Cette technologie-là, nous avons vocation de la prêter à d’autres studios indépendants pour des co-développements.
Comment avez-vous travaillé les animations ?
Nous avons choisi d’utiliser la Motion Capture pour certaines animations qui avaient besoin d’une fluidité et d’un naturel qui apporteraient la chaleur du jeu. Là encore, nous nous sommes entourés de professionnels et nous avons travaillé avec Quantic Dream, et nous ne le regrettons absolument pas. Ils ont vraiment été très généreux dans leur travail.
Durant la Japan Touch Haru, vous participez à la table ronde « créer un jeu vidéo « presque » sans argent ». Quel est le secret ?
Le grand secret c’est la débrouille. Dans notre cas, nous essayons de tout faire à l’économie. Nous avons une toute petite entreprise, donc relativement un petit budget. Déjà, ce qui a contribué à ce que nous sélectionnions le prototype de White Night pour être le premier jeu développé par OSome Studio, c’est qu’il s’agit d’un jeu relativement économe en ressources graphiques. Le système de visualisation très contrasté noir et blanc demande à ce qu’il y ait peu de textures, sinon on va « bruiter » l’image. Nous avons des textures importantes de papiers peints mais qui sont très simples, nous avons des tableaux, mais nous n’avons pas eu besoin de beaucoup texturer sinon on aurait nui à l’image. C’était donc déjà un choix économique. Et puis nous avons eu besoin d’objets qui sont très peu détaillés d’un point de vue modélisation. Dans le jeu, il y a un système de petites bordures noires ou blanches de traits qui donne un effet dessiné. Si nous avions eu des objets un peu trop détaillés, finalement, cela aurait nui à l’image également car ça apporterait trop de détails. C’est pourquoi nous nous sommes orientés vers le style roman plutôt que le gothique par exemple. Nos meubles sont limités en faces, en construction, en formes, pour lire facilement le décor qui nous entoure. Ce choix artistique est également un choix économique. Nous avons préféré mettre plus de budget dans l’aspect sonore et dans l’animation. Et à ce niveau-là, nous avons vraiment fait attention à être très précis dans nos commandes par souci d’économie puisque les free-lance sont embauchés pour une période donnée et qu’à la fin nous devons récupérer tout ce qui sera nécessaire pour le jeu. Nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier le moindre détail. Et puis, de la même façon, il faut également faire des choix sur les salons où l’on va pour faire la promotion, car tout ça a un coût, que ce soit le stand, la décoration du stand, etc. Pour l’anecdote, à la GDC par exemple, nous avons fait les brocantes sur place pour pouvoir créer un stand à la White Night. Le budget est vraiment limité, donc qu’il s’agisse du développement ou du marketing, il faut vraiment tout faire à l’économie. Malheureusement, du coup il a fallu élaguer et beaucoup d’idées sont passées à la trappe, mais peut-être que nous allons les garder pour des projets futurs ou une suite à White Night.
Quels sont vos futurs projets ?
Pour l’instant, nous nous posons un peu et essayons de voir où se dirige White Night. La question de ce que nous ferons par la suite, nous commençons tout juste à nous la poser. Ce qui est sûr, c’est que nous ne ferons pas une suite directe de White Night. Le jeu a un début et une fin, nous n’aimerions pas faire une suite qui ne paraitrait pas logique. En revanche, nous aimerions bien faire une autre histoire mais dans le même type de visuel, d’environnement. Par exemple pour éclairer d’autres aspects de l’histoire que nous n’avons pas pu développer. Mais nous avons également envie de faire plein d’autres jeux, surtout avec l’idée de développer l’empathie du joueur. Nous avons encore plein de prototypes et plein de projets dans les tiroirs, donc tout est possible.
Un tout grand merci pour cette interview!
L’équipe qui a travaillé sur White Night au grand complet
Le Trailer du jeu