Review

Suda51 : un nom qui résonne dans la tête des amateurs de jeux japonais à l’atmosphère complètement barrée. Entre Shadows of the Damned, Lollipop Chainsaw ou Diabolical Pitch, le bonhomme et son équipe sont connus pour leurs œuvres déjantées. Ils s’attaquent cette fois au jeu de plates-formes en 2D en s’inspirant du théâtre de marionnettes japonais. De quoi grimper au rideau ?

Il était une fois, au pays du grand n’importe quoi…

Suda 51 dans un nouveau délire visuel!

Sur une scène de théâtre, dans un décor représentant une sordide chambre d’hôtel, un corps inerte pendouille accroché à une corde. Après un bref mouvement de balancier provoqué par le joueur, le cadavre atterrit sur le sol et revient à la vie sous l’armure du Chevalier Noir. Armé d’une épée animée par un mignon petit esprit, Hellebore, il s’en va pourfendre une horde de créatures diverses et variées, à la tête desquelles une princesse terrifiante, diabolique et parfaitement manucurée.

Après Sine Mora, jeu de shoot ayant reçu un accueil critique favorable, Black Knight Sword est la seconde collaboration des Japonais de Grasshopper Manufacture et des Hongrois de Digital Reality. Ce mélange des cultures a grandement influencé le jeu, qui mêle une esthétique et une atmosphère empruntées à la fois au Kamishibai (théâtre japonais mettant en scène des marionnettes de papier) et aux contes européens.

Je suis un géant de papier

En effet, la plus grande particularité de Black Knight Sword est sa présentation graphique. Constamment encadré par des rideaux rouges, le joueur évolue au sein de décors constitués d’arrière-plans se pliant et se dépliant au fil de sa progression. Cette touche originale offre au jeu un aspect unique et dépaysant. Et du dépaysement, vous allez en avoir. Fidèle aux habitudes des jeux estampillés Suda51, le soft prend un malin plaisir à vous faire traverser des zones on ne peut plus variées, qui vont d’une forêt sombre qu’on croirait sortie d’un livre de contes à une route mexicaine peuplée d’ennemis portant des sombreros.

Black Knight Sword se veut sanglant, très sanglant!

Et parlons-en, des ennemis : sur ce coup-là, les développeurs se sont clairement lâchés. Apprêtez-vous à charcuter (oui, le jeu est gore, on est quand même chez Grasshopper) des hommes obèses qui balancent des œufs en caquetant, des têtes de cheval sur ressort et une espèce d’ignoble croisement entre un Monsieur Patate et une statue de l’île de Pâques (je n’ose imaginer la tronche des médecins à l’accouchement). Cette liste n’est évidemment pas exhaustive mais on vous laissera le plaisir de la découverte et l’effet de surprise, indispensables pour pleinement apprécier la bizarrerie du jeu. Un bémol cependant : si la sensation d’être face à un univers atypique est agréable, il faut tout de même noter que le jeu confond parfois décalage et mauvais goût. Si certains décors possèdent effectivement une touche absurde appréciable, d’autres se rapprochent plutôt de l’affreux papier peint décrépi de chez mémé. La volonté de se démarquer n’excuse pas tout.

Mis à part ces quelques fautes de goût, il n’y a rien à redire au niveau des graphismes en tant que tels, qui donnent vie à cet univers de manière convaincante. Mais pour donner une vraie consistance à l’ensemble, il ne fallait pas négliger l’aspect sonore. Et de ce côté-là, on se régale : signées par l’excellent Akira Yamaoaka, qu’on ne présente plus (pour les incultes, Google et Wikipedia sont vos amis), les compositions contribuent énormément à l’ambiance particulière qui se dégage du titre. Difficile à décrire, car évoquant de nombreux styles, cette bande-son est sans conteste l’un des éléments les plus réussis de ce Black Knight Sword. Pas étonnant quand on connaît le passif de Yamaoka.

None shall pass

Au niveau des détails qui fâchent, il faut savoir que le système de sauvegarde est particulièrement foireux

S’il se démarque par son aspect visuel, le soft n’en reste pas moins un jeu de plates-formes en 2D des plus classiques et emprunte énormément à des chefs-d’œuvre du genre comme Ghosts’n Goblins et Castlevania. Attendez-vous de fait à traverser des niveaux remplis de pics, d’ennemis vicieusement placés et de doubles sauts calculés au millimètre près. Le challenge est donc au rendez-vous pour les amateurs du style et le jeu a le bon goût de proposer trois niveaux de difficulté, histoire de ne pas frustrer les joueurs désirant découvrir les qualités du titre sans douleur, ou au contraire de filer une grosse fessée aux masochistes de la manette. Malheureusement, on déplore une trop grande rigidité de la part du chevalier qui achève de rendre extrêmement frustrantes certaines phases demandant un grand sens du timing. Dans le même ordre d’idées, le système d’esquive, qui se déclenche en appuyant sur le bouton de saut une fois accroupi, pose problème. Cette manipulation se révèle trop peu pratique en action et aurait pu être simplement évitée en attribuant ce mouvement à une touche inutilisée de la manette.

Il faut également noter de gros problèmes au niveau du dosage de la difficulté. Ainsi, l’avant-dernier niveau (le jeu en compte 5) se parcourt les doigts dans le nez mais se conclut sur un affrontement de boss à s’arracher les cheveux. Un peu plus de cohérence n’aurait pas fait de mal à ce niveau-là. Au niveau des détails qui fâchent, il faut aussi savoir que le système de sauvegarde est particulièrement foireux. Le jeu ne disposant pas de sauvegarde automatique, c’est au joueur de sauver sa progression à chaque checkpoint, au risque de devoir recommencer un (long) niveau en entier s’il tombe à court de vies. Pour éviter de tout se retaper, il suffira de relancer sa sauvegarde, mais les menus de pause et de game over ne proposent pas d’option de recharge rapide. Il faut donc se farcir un chargement vers le menu principal puis naviguer dans les menus, jolis mais particulièrement lents, pour enfin relancer sa partie. C’est peut-être un détail pour vous, mais à la longue, ça veut dire beaucoup de frustration.

Les boutiques du soft sont pour le moins…particulières!

Carton rouge également pour le recyclage des boss, que vous allez tous devoir affronter une seconde fois avant la fin du jeu (et encore, sans parler du tout premier, que vous allez rencontrer  6 ou 7 fois au final). Avec le niveau de créativité et de folie qui se dégage du jeu dans son ensemble, il est dommage de constater que les développeurs se sont laissés aller à la facilité sur la fin, surtout au vu de la faible durée de vie du jeu (comptez entre 3 et 4 heures, morts incluses).

C’est juste une égratignure

Comme le Chevalier Noir des Monty Python, ce Black Knight Sword encaisse les blessures graves mais n’en reste pas moins un féroce combattant et digne représentant du jeu de plates-formes old school. On lui pardonnera ses faiblesses pour se concentrer sur les qualités de son atmosphère bizarre, unique et finalement plutôt attachante.

Le Video-Test

Réalisation: 15/20

Avec son aspect de spectacle de marionnettes glauque et gore, ses décors se pliant et se dépliant au rythme de la progression du joueur et le design atypique de ses ennemis, Black Knight Sword frappe un grand coup au niveau visuel. Il est donc d’autant plus dommage que certains éléments tirent plus vers le mauvais goût maladroit que le décalage maîtrisé.

Gameplay/Scénario: 14/20

Si son aspect visuel le fait sortir du lot, Black Knight Sword n’en reste pas moins un jeu de plates-formes extrêmement classique, empruntant de nombreux éléments aux softs des années 80 et 90 sans jamais essayer d’innover, et plaira donc essentiellement aux fans du genre. On déplorera tout de même une trop grande rigidité de la part du héros et le recyclage insupportable des boss. Du côté du scénario, le jeu se contente du strict minimum en racontant l’histoire d’un boss au début du chaque niveau, mais ne propose rien de mémorable de ce côté.

Bande-Son: 16/20

Signées par l’illustre Akira Yamaoka, les compositions sont somptueuses et jouent énormément dans l’ambiance particulière dégagée par le titre. Outre les bruitages, parfois bien débiles (mention spéciale au cri de l’homme-poule), il faut également compter sur la présence d’un narrateur francophone, ce qui est assez rare dans ce genre de softs pour être signalé.

Durée de vie: 11/20

C’est là que le bât blesse : il faut compter entre 3 et 4 heures pour boucler le titre, morts comprises. En plus d’herbes à tête de chat à collectionner en fouillant les niveaux et de la présence de trois niveaux de difficulté, des modes Challenge et Arcade ont également été inclus histoire de gonfler un peu le compteur, mais n’intéresseront que les fans de scoring désireux de défier les classements en ligne.

Note Globale N-Gamz.com: 14/20

Fier héritier des jeux de plates-formes qui firent les grandes heures des consoles 16 bits, Black Knight Sword est un jeu efficace, pas dénué de gros défauts mais à l’atmosphère atypique et prenante, qui brille sur les planches et laisse espérer d’autres collaborations entre Grasshopper Manufacture et Digital Reality, manifestement sur la même longueur d’onde quand il s’agit de faire parler leur folie créatrice pour accoucher d’un titre à la fois bizarre et attachant. On en redemande.



About the Author

Guib
Accro (mais sainement ; et oui, amis journalistes, c’est possible) aux jeux vidéo depuis le jour où j’ai reçu ma Super Nintendo accompagnée de Super Mario All Stars à l’âge de 6 ans, je suis passionné par les jeux de plate-forme, mais pas uniquement. Peu importe le genre, je suis surtout intéressé par les titres qui ont une âme et qui dégagent une réelle personnalité. Quelques-uns de mes jeux cultes : Yoshi’s Island, Beyond Good & Evil, Ico et les jeux Rockstar (oui, ça tranche avec le reste mais ces gars-là m’ont rarement déçu). J’ai aussi une petite faiblesse moins avouable pour les jeux nanars descendus par la plupart des testeurs, mais chut. Etant fan de cinéma fantastique et écrivant depuis quelques mois des critiques de films, j’ai eu envie de me diversifier et de me lancer dans le test de jeux vidéo, et me voilà !